Une autre petite anecdote :
Tirée de En flânant.... De Bretagne en Saintonge / par André Hallays
Hallays, André (1859-1930)
CHATEAU DE KERJEAN à la Révolution :
....Aux Barbier succédèrent les
Coatanscours.
La dernière du nom, Suzanne-Augustine, veuve de Louis-François-Gilles de
Kersauson de Brézal, occupait le château lorsqu'éclata la Révolution.
De tous les personnages qui furent les maîtres de Kerjean, celui-là est, à n'en pas douter, le plus intéressant.
Veuve et sans enfants, M" de Coatanscours s'enferma dans Kerjean, elle fit armer les remparts, garnir les tours de couleuvrines, et ressuscita tous les rites de la vie féodale chaque soir, une fois les ponts-levis relevés, elle se faisait apporter les clefs des portes et les plaçait à son chevet.
De nombreuses anecdotes plus ou moins certaines la représentent comme intraitable sur ses privilèges, hautaine avec ses voisins, impitoyable pour les gens du commun.
Mais il semble aussi qu'elle avait l'esprit cultivé et élégant, de la générosité et une grande douceur envers les pauvres. Kératry l'a mise en scène dans un roman historique que j'avoue n'avoir pas lu, le Dernier des Beaumanoir. Lorsque tant de traditions et de légendes se forment
autour d'un personnage, il advient souvent qu'elles ne résistent pas à une critique sérieuse; mais l'imagination populaire sait choisir ses héros, et l'histoire trouve presque toujours son compte à suivre ses indications. C'est pourquoi j'aurais voulu connaître la figure de cette terrible châtelaine.
Comme celle-ci fut condamnée à Brest par le tribunal révolutionnaire et
guillotinée, je pensai que peut-être le dossier de son procès m'apporterait sur elle quelques renseignements moins sujets à caution que les romanesques inventions du romanesque Kératry.
Ce dossier est aux Archives nationales, les juges de Brest àyant été mis eux-mêmes en accusation quelques mois plus tard. J'ai donc feuilleté la liasse relative à Mme de Coatanscours et à sa soeur, Mme Launay,
qui habitait Saint-Pol-de-Léon ces deux dames furent incarcérées ensemble et traduites en même temps devant le tribunal.
Et je n'ai rien trouvé. sinon un des plus effroyables exemples
de ce que fut en Bretagne la justice révolutionnaire. Aucune trace d'interrogatoire; l'acte d'accusation quelques pièces à l'appui. Ces pièces, sont des lettres non signées et saisies. chez les accusées elles émanent de royalistes, peut-être d'émigrés, renferment cette expression « Notre pauvre roi », contiennent quelques vagues doléances sur les tristesses du
temps présent, et le récit de l'incendie d'une voiture allumé par le peuple dans une rue de Paris.
L'accusateur public constata que ceux qui reçoivent de pareilles lettres sont aussi coupables que ceux qui les écrivent. et ce fut tout.
Les deux femmes furent exécutées le 27 juin 1794.
J'indique donc aux fureteurs que le dossier du tribunal de Brest ne leur apprendra rien sur la dernière des châtelaines de Kerjean. Cela n'est point pour les décourager d'autres recherches bien au contraire, car je suis persuadé que de la chronique de Kerjean le dernier chapitre sera le plus captivant.